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Lettres de Claude MILLLOT et le procès des 42



Le 15 Janvier 1943, le "Procès des 42" s’ouvre au Palais de Justice de Nantes. En fait, le Conseil de Guerre de l’armée allemande juge 43 hommes et 2 femmes. Du 15 au 28 janvier 1943, les 45 inculpés sont amenés, enchaînés pour certains d’entre eux, devant la cour martiale allemande présidée par le Dr Hanschmann, le procureur étant le Dr Gottloeb. Seuls peuvent assister aux séances les avocats (Guineaudeau, Lerat, Lauriot, Mouquin et Pascal, aidés du traducteur Duméril), quelques officiels et des journalistes asservis à l’occupant. Une grande partie des entretiens se fait en allemand et le réquisitoire n’est pas traduit aux accusés qui n’ont pu s’entretenir avec les avocats avant le procès.

Membres de l’Organisation spéciale (OS), créée par le parti communiste, ils vont devoir répondre, pendant deux semaines, de 49 chefs d’accusation - allant d’attentats contre l’occupant à l’exécution de "collaborateurs" ou au vol de tickets d’alimentation.

D’évidence, les autorités allemandes veulent l’exécution de tous les accusés. Quelque soit le motif initial d’inculpation, 37 accusés sont considérés comme des "francs-tireurs" et condamnés à mort.

Source : Comité Départemental du Souvenir des Fusillés de Châteaubriant et Nantes

Fusillé le 13 février 1943, Claude MILLOT était Contrôleur Principal et rédacteur à la Régie des Contributions Indirectes.

Dernières lettres de Claude Millot

Mardi 9 février 1943, 14H

Simone, ma chérie,

Combien de temps me reste-t-il à vivre ? Quelques heures ? quelques jours ? Qui sait, peut-être te reverrais-je ! Quoi-qu’il en soit, je suis calme. Jusqu’ici aucune défaillance. J’essaierai d’être courageux, d’être un homme jusqu’au bout. Durant ces longs mois, dans le secret le plus rigoureux, le moral n’est pas tombé un seul instants, l’idéal m’a soutenu. Il le fallait devant les privations et les souffrances physiques. Nous avons tous souffert mais nous n’avons pas renié. Nous pensons que notre sacrifice servira à quelque chose de grand, un monde meilleur que nous voyons venir.

Durant les longues heures d’inaction, j’ai bien souvent pensé à toi et à nos chéries. Quel bonheur cela a été pour moi de recevoir pour la fin d’année une photo que j’attendais avec impatience. Comme je l’aime cette petite, notre fille Danièle et combien aussi nos trois autres chéries. Mais toi, ma Simone, combien tu as changé, combien tu parais triste. Il ne faut pas, il faut avoir du courage si tu dois parcourir la route sans moi. Penses à nos 10 années de bonheur. Penses à la compréhension mutuelle qui existait de plus en plus entre nous, penses que nos petites devrons trouver en toi le guide pour les premiers pas dans la vie nouvelle. c’est avec une grande reconnaissance que j’ai reçu toutes les douceurs que vous m’avez envoyé dernièrement. L’histoire de ce que nous avons fait, de ce que nous avons vécu, d’autres la feront plus tard. Nous sommes simplement des hommes épris de liberté qui aimons notre pays, nos familles et pour qui l’existence avait sa signification dans l’action que nous avons menée. Ce que j’écris est sans suite. Excuses-moi, je jette mes pensées comme elles viennent. Par delà tout ce qui me sépare de vous, je fais l’effort qui me rapproche de vous et je vous vois intensément mes chéries. Je vois déjà grandir Claudine, Denise, Françoise, Danièle. Je les vois avancer dans un monde nouveau ou pour la première fois tous les nôtres pourront parler du bonheur de vivre. Nous tous qui sommes ici et ceux qui déjà nous ont quitté il y a quelques jours savions que les nôtres, tous les êtres qui nous sont chers ont pensé bien souvent à nous et garderont notre souvenir. c’est aussi bien souvent en pensant à toi, ma Simone chérie, que j’ai pris les forces nécessaires pour résister dans la lutte et ne crois pas avoir démérité. Tu avais vu juste, d’autres aussi me jugeront. J’ai fait de mon mieux..

Intensément et avec toute ma tendresse je pense à toi Simone chérie, à toi que j’aime, à toi qui m’a donné tant de bonheur, je pense à nos petites si chères à nous deux. Malgré le verdict de mort, j’ai encore espoir. Je pense encore pouvoir t’envoyer mes pensées, chaque jour jusqu’à ce que la vie me soit retirée.

Ma Simone chérie, j’espère en demain.

Ton Claude, avec tout mon amour pour toi.



Maison d’arrêt de Nantes - Vendredi 12 février 1943

Simone, ma chérie, je viens m’entretenir un peu avec toi. Que de choses nous aurions à nous dire si cette barrière quasi infranchissable du "secret" n’avait séparé nos existences. Au début, nous avons eu à endurer les coups, la torture. Ce fut odieux. Pour moi, un mois de cette existence, menottes aux mains. Je n’avais que ton fugitif et radieux passage au Commissariat. Combien j’ai senti alors que je t’aimais. Puis ce fut l’incarcération. Soulagement : plus de coups, mais encore les douleurs dans notre pauvre corps blessé ; mais torture nouvelle : la faim. Le secret : pas de nouvelles, pas de colis, pas de journaux, pas de lecture, ne pas pouvoir écrire, ne jamais sortir de la cellule, pas de lit (interdit pour nous) on ne voulait même pas nous donner de paillasse, pas le droit de fumer. Rien que le colis de linge. Mais nous avons tenu car notre moral était élevé et nous étions de bons camarades. Au bout d’un moment, il n’y eut même plus de visite d’avocat. Puis nous fûmes livrés au quartier allemand et là le secret est encore plus rigoureux, si possible. Enfin le jugement qui ne fut pas une surprise pour nous tous. Il faudra plus tard qu’on sache que nous avons souffert mais que crânement nous tenions tête. Les allemands furent corrects, mais au quartier allemand ... les serveurs français (condamnés de droit commun) qui furent nos tortionnaires, ces ignobles trafiquants de soupe. Toutes les "combines" pour eux sont bonnes pour de l’argent. Il faudra se souvenir de ces "français" qui ont contribué à aggraver le sort d’autres français,... Mais c’est assez raconté sur nos malheurs, pour aujourd’hui. Nous avons aussi de bons moments, les heures d’espoir, les instants de bonne camaraderie, de fraternité : ce sont les colis. Ils nous montrent votre tendresse à notre égard. Nous les partageons également entre tous. Nous pensons aux sacrifices que vous faites en ces temps de restrictions pour nous envoyer toutes ces douceurs. Nous dévorons malheureusement ces colis comme des ... Nous avons été tellement tenaillés par la faim.

Aujourd’hui, il y a quinze jours, 9 ou 10 (on ne sait pas exactement) de nos camarades étaient fusillés. Parmi eux, un dans notre cellule (où nous étions 4). Depuis ce temps-là, j’ai changé de cellule. Avant nous étions 10, puis 4, puis 6. De vraiment bons camarades. Depuis le jugement, jour et nuit nous sommes menottés aux mains. Une souffrance à ajouter à tant d’autres. Mais qu’importe.

Nous savons que très bientôt le soleil brillera pour tout le monde. Tant pis si nous ne sommes plus là. Nous aurons été les dernières victimes.

Jusqu’à aujourd’hui donc rien de nouveau depuis l’exécution de nos 9 ou 10 camarades. Déjà 15 jours de passés. Mais dehors les évènements vont vite et notre victoire, nous le savons, avance à pas de géant.

Ma chérie, ma Simone aimée, je te quitte pour ce soir. J’espère te causer à nouveau demain. Au revoir mon aimée, ton Claude qui pense à toi avec toute sa tendresse. Mes pensées vont aussi vers ceux qui m’aiment et sont loin d’ici, papa, Colette et ma grand-mère. Toi ma chérie, tu leur diras toute l’affection que j’ai pour eux.

Chérie, j’ai aussi des moments de douceur, ceux où je contemple ton cher et beau visage. Comme je t’aime.

Plus d’informations sur les sites suivants :
Procès des 42
Comité départemental du souvenir des fusillés de Châteaubriant et Nantes et de la Résistance en Loire Inférieur.

Article publié le 21 mars 2011.


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